Chemin de la Visitation
Période(s) d'occupation: Protohistoire, Antiquité
Opération : fouille préventive
Dates de l'opération: février - mars 2015
Opérateur : Service archéologique de la Ville de Lyon
Aménageur : Ville de Lyon
La fouille du « Chemin de la Visitation », malgré son interruption, a permis d’apporter de nouveaux éléments de réflexion sur l’urbanisme antique de Lyon et son évolution dans le temps. En outre, cette opération permet également de compléter nos connaissances sur l’occupation protohistorique de la colline de Fourvière, qui viennent d’être enrichies par la découverte récente d’un murus gallicus.
Les apports pour la période protohistorique
Les niveaux et les structures protohistoriques ayant été perçus uniquement en coupe, les apports de la fouille restent limités. Cependant, l’opération archéologique du « Chemin de la Visitation » permet de confirmer la présence d’un niveau anthropisé protohistorique qui paraît bien conservé sur la terrasse haute du site. Cette couche semble abriter, outre du mobilier LT D, des éléments plus anciens qui, à l’image de la découverte faite sous le murus gallicus de la rue Abbé Larue, pourraient se rapporter à des horizons Néolithique final/Bronze ancien et/ou Bronze final.
Un lot limité mais homogène d’amphores vinaires provient d’un creusement dont il est difficile, seulement en coupe, de définir la nature : fossé ou fosse. Cependant, ce négatif pourrait correspondre à un fossé en V, d’axe nord/sud, participant à la délimitation d’un parcellaire ou d’un enclos. Il pourrait rejoindre les nombreuses structures du même type déjà mises au jour sur la colline de Fourvière : fossés du Verbe Incarné, du Lycée Saint-Just, de l’Hôpital Sainte-Croix. Le fait que la structure fossoyée ne se prolonge pas dans le sondage, ou dans la coupe sud de celui-ci, pourrait indiquer qu’il s’agit d’une fosse mais on peut également être en présence de l’interruption d’un fossé (une entrée ?). La particularité de ce nouveau tronçon de fossé réside dans sa chronologie. En effet, les structures évoquées plus haut présentent toutes une chronologie centrée sur La Tène D1b- LT D2 (fin IIe début Ier s. av. J.-C. et Ier s. av. J.-C.). Le lot de mobilier du site de « La Visitation », certes limité, présente quant à lui une chronologie plus ancienne contemporaine des vestiges mis au jour dans la plaine de Vaise (rue du Souvenir, rue Marietton et rue du Mont d’Or), soit de LT D1a.
Les amphores du fossé (ou de la fosse ?) F62 ne constituent pas un lot statistiquement suffisant pour une datation définitive. Il peut cependant être comparé aux contextes déjà étudiés à Lyon. Ainsi, les fossés de la rue du Souvenir et de la rue Marietton, datés des années 150-125 av. J.-C., sont caractérisés par l’absence totale d’amphore Dressel 1B. Ils intègrent 40 à 50 % d’amphores gréco-italiques. A contrario, les contextes plus récents du Lycée Saint-Just, de Saint-Vincent ou de l’Hôpital Sainte-Croix livrent une proportion significative d’amphores Dressel 1B (entre 29 et 36 %). On peut donc proposer, avec prudence vu la taille de l’échantillon, une datation entre les années 140 et 120 av. J.-C. pour le lot d’amphores républicaines de la Visitation.
Par sa chronologie, cette nouvelle découverte vient quelque peu bouleverser le schéma évolutif que l’on pouvait dresser de l’occupation laténienne sur le territoire lyonnais. En effet, les découvertes du site de la Visitation attestent, sur la colline, d’une occupation contemporaine de la résidence aristocratique identifiée dans la plaine de Vaise. L’enjeu des fouilles et des recherches à venir sur ce secteur de la colline de Fourvière sera de confirmer la chronologie de cette occupation et de préciser sa nature.
Les apports pour la période antique
Les niveaux rattachés à la période antique permettent de discerner cinq états d’occupation entre 10 av. J.-C. et 230 apr. J.-C. (cf. p. 50) que l’on retrouve sur les sites environnants (rue des Farges, Pseudo-sanctuaire de Cybèle et Clos de la Visitation). Les niveaux coloniaux précoces (40-20 av. J.-C.) mis en évidence sur les sites du Verbe Incarné, de Cybèle ou du Clos de la Visitation demeurent absents tout comme sur le site de la rue des Farges.
Les vestiges du « Chemin de la Visitation » s’intègrent visiblement à une série de terrasses déjà observée notamment sur le site voisin du « Clos de la Visitation » (Clément 2016), où un large mur orienté est/ouest délimite deux terrasses présentant un dénivelé d’un mètre (terrasse nord à 297 m NGF et terrasse sud à 296 m NGF). Sur le site du « Chemin de la Visitation », un mur axé est/ouest, largement détruit par une tranchée de récupération, délimite une rupture altimétrique entre les vestiges localisés au nord et ceux situés au sud. Tout porte à croire que le mur 109 a matérialisé une limite entre deux terrasses et confirme l’existence d’une série de terrasses, axées est/ouest, s’étendant vers le sud depuis le Clos de la Visitation. Le premier état d’occupation antique (phase 2, état 1) observé sur la fouille ne concerne que la terrasse haute (terrasse nord) où des négatifs de poteaux et de sablières basses, associés à des sols, attestent de constructions (habitats ?) en bois et en terre, vers 10 av. - 10 apr. J.-C. L’arrêt de l’opération archéologique n’a pas permis de vérifier la présence de ces niveaux sur la terrasse basse (terrasse sud).
Etats 1 et 2 de l'occupation
L’orientation des vestiges, nord 4° à 9°ouest, établie dès l’état augustéen (état 1), ne connaît aucun changement lors des reconstructions successives : elle perdurera tout au long de l’occupation. Elle correspond à la trame urbaine C de Lyon, identifiée sur une partie des vestiges de la rue des Farges (175 m au sud-est), sur le site du clos de la Visitation (100 m au nord-ouest) et sur les fouilles anciennes du clos des Minimes (50 m à l’est).
Dans l’état de nos connaissances, il semble qu’une
occupation à vocation domestique se soit développée sur la terrasse
nord, avec l’implantation d’un bâtiment construit sur fondations et
solins maçonnés en blocs de granite (mur MR 30, Bâtiment n°3), vers
30-70 apr. J.-C. (état 2). Dans le même temps, la terrasse sud ne semble
occupée1 que par un grand bâtiment de près de 11 m de large reconnu sur
6,90 m de long. La largeur des murs (0,80 m), les dimensions reconnues
du bâtiment, la largeur de sa porte (2,65 m) et la taille du bloc de
seuil
laissent présumer d’une certaine monumentalité du Bâtiment n°1,
pour lequel on envisage un statut et une fonction relevant du domaine
public. La terrasse basse semble donc occupée, dès l’époque
tibéro-claudienne, par un important bâtiment orienté nord 4°ouest sans
doute à vocation publique, qui perdurera jusque vers 175-200 apr. J.-C.
On retrouve cette mixité entre espace public et espace domestique sur
plusieurs sites environnants : la rue des Farges (thermes publics), le
clos de la Visitation (édifice monumental ?) ou le pseudo-sanctuaire de
Cybèle (prétoire, sanctuaire ?). Dans le cas de l’opération du chemin de
la Visitation, il reste à déterminer la nature exacte de ce bâtiment
public. Si le bâtiment semble avoir perduré pendant près de deux
siècles, on peut se demander s’il en a été de même pour sa fonction ? À
environ 50 m à l’ouest de la fouille, la découverte sous les pavillons
des Télégraphes, en 1846 et 1848, d’au moins trois autels dédicacés à
Mercure Auguste et Gaia Auguste peut fournir un indice concernant
l’identification du Bâtiment 1. En effet, le dédicant Marcus Herennicus
Albanus, qui a consacré ces autels, a également fait élever un temple
sur l’espace public afin d’accueillir les autels et les statues de
Mercure et Gaia ainsi qu’une « image » de Tibère Auguste. On peut donc
légitimement s’interroger sur les liens qui peuvent exister entre cette
découverte ancienne et notre bâtiment, même si aucun élément ne permet
de les relier. L’architecture et le plan incomplet du bâtiment ne
permettent pas de proposer d’identification ; cependant, les
particularités de certains mobiliers notamment métalliques peuvent
fournir quelques pistes de réflexion. Ainsi, la présence sur le sol de terrazzo
de nombreux fragments de tôles rectangulaires en fer, comportant les
traces d’un support en bois et des clous de fixation de petites tailles,
peuvent attester la présence de menuiseries ou d’ameublements renforcés
d’éléments métalliques qui auraient équipé ce bâtiment : étagères,
rayonnages, caisses ou coffres, banquettes ? De même, les deux négatifs
F113 et F245, pourraient marquer les emplacements de deux escaliers
parallèles menant à un étage ou une galerie périphérique.
Etat 3
A
l’état 3 (vers 80-120 apr. J.-C.), les vestiges présents sur la
terrasse nord conservent une vocation domestique avec la reconstruction
d’une domus (Bâtiment 3). Cependant, la terrasse nord paraît
connaître un profond remaniement. Le Bâtiment n°3, qui semblait se
développer à l’est du mur MR30 à l’état 1, est reconstruit à l’ouest de
celui-ci à l’état 2, pour laisser place à un espace de circulation
(voirie ou courette ?) bordé à l’est par un collecteur d’eaux usées. La
construction de cet aménagement public, contemporain de la
reconstruction du Bâtiment n°3, est peut-être la cause de la
restructuration de la terrasse nord. La domus, dont seulement 4 pièces
ont été partiellement reconnues, apparaît modeste au regard de la
qualité des sols et des dimensions des pièces.
La terrasse
sud paraît également connaître un certain bouleversement. Le bâtiment
public (Bâtiment n°1) semble persister et un corps de bâtiment en L
(Bâtiment n°2) se développe à l’ouest et au nord de celui-ci. L’abandon
de la fouille n’a pas permis de déterminer si le Bâtiment n°2 reprend
une construction plus ancienne ou s’il s’agit d’une construction
nouvelle. Dans l’état actuel des connaissances, aucun élément ne permet
de proposer une identification ou une fonction au Bâtiment n°2 :
vocation domestique, artisanale ou autre ? Selon toute vraisemblance
l’espace ouvert I doit déjà exister à l’état 3 mais rien ne permet de le
déceler.
Etat 4
Les traces de l’occupation à l’état 4 sont essentiellement matérielles, que ce soit sur la terrasse nord ou la terrasse sud (remblais comportant un abondant mobilier). Les vestiges ou les maçonneries clairement attachés à cette phase chronologique demeurent rares et mal définis. Ce fait n’a rien d’étonnant vu les nombreuses spoliations subies par le site après son abandon, qui ont particulièrement détruit les vestiges de la phase la plus récente.
Ainsi, sur la terrasse nord, un bouchage de porte (F338) dans le mur MR29, un caniveau maçonné (F35) et une tranchée de canalisation (F263) constituent les seules structures que l’on puisse relier à l’état 4. Pour le même état, l’occupation de la terrasse sud est principalement marquée par un espace de circulation extérieur (espace I) aménagé entre l’aile orientale du Bâtiment n°2 et le Bâtiment public n°1, dont il atteste encore du fonctionnement. Un négatif de caniveau, sans doute en bois et parallèle au mur MR 189, est également associé à l’espace I. L’abondant mobilier céramique daté vers 175-200 apr. J.-C., présent dans le niveau de sol et dans le caniveau, est accompagné d’un lot de matériel métallique particulier. En effet, il révèle une forte proportion d’objets en lien avec le domaine militaire et notamment avec l’armement offensif. La fouille voisine de la rue des Farges offrait déjà une telle abondance, mais elle était issue principalement de remblais et/ou de dépotoirs datés dans la première moitié du IIIe siècle. Ce type d’assemblage de mobilier, présent sur le site de la Visitation dans des niveaux daté vers 175-200 apr. J.-C., est assez rare en fouille et suscite plusieurs questions : quel lien peut-on avoir avec la bataille de 197 ? Quel lien peut–on envisager avec le bâtiment n° 1 ? Quelles interprétations peut-on faire de la présence de ce lot de militaria ?
Au moins quatre hypothèses pourraient être envisagées, mais elles ne sont pas toutes convaincantes. La première et la plus simple serait de voir dans ce mobilier les reliquats d’une production artisanale localisée dans l’un des bâtiments environnant l’espace I. Cependant, la variété des catégories d’objets (armement offensif et défensif, objets du domaine domestique ou social…) et l’absence de fabricats, de ratés ou de chutes pouvant correspondre à une chaîne opératoire de confection semblent exclure l’identification d’un lot de mobilier lié à une production in situ.
Les militaria
collectés sur la terrasse basse du site pourraient également indiquer
l’existence d’un lieu destiné au stockage d’armes, dans l’un des
bâtiments encadrant l’espace I, qui auraient été abandonnées sur place.
Il faut d’ailleurs rappeler le probable passage du rempart augustéen une
vingtaine de mètres au sud de la fouille. Par son architecture le
Bâtiment n°1 apparaît comme le lieu approprié à un tel entreposage et la
présence sur son sol de centaines de fragments de tôles de fer pouvant
se rapporter à des renforts de caisses ou de rayonnages renforce cette
hypothèse. La présence de ces lieux de stockage d’armes en contexte de
camp militaire est bien attestée notamment sur une tablette de
Vindonissa mentionnant un armamentaria. D’un point de vue
archéologique, deux sites majeurs paraissent fournir les indices
tangibles de leur existence : le camp de Carnuntum en Pannonie et le
camp de Caerleon en Grande-Bretagne. Sur les deux sites, d’imposants
bâtiments en pierre livrent des grandes quantités d’armes constituées
notamment de traits d’artillerie, de pointes de flèches et d’éléments
d’arcs, de pila, de lances, de tribuli, ou encore de cottes de mailles, de cuirasses et de casques. Il faut signaler que l’on retrouve quasiment les mêmes types de militaria sur le site de la Visitation que sur ces lieux de stockage avérés. Mais en
contextes
urbains accueillant des unités militaires (Cohorte urbaine), il est
plus délicat d’attester et d’identifier de telles structures. Cependant,
certains passages de Tacite2 relatent l’existence de tels entrepôts à
Rome ou à Ostie et la proximité du statut des garnisons d’Ostie et de
Lugdunum au début du Haut-Empire a déjà été soulignée par les travaux de
Fr. Bérard . Pour M. Bishop, il est probable que chaque grande ville de
l’empire ait possédé son armurerie, utilisée par les troupes en
stationnement en cas de trouble. Mais alors pourquoi le lot d’armes de
la Visitation provient-il d’un espace extérieur (courette ou voirie) et
non des bâtiments attenants ?
Cela amène une troisième supposition concernant l’origine du lot de militaria.
Ce mobilier pourrait être lié à un événement violent et correspondre à
un épisode de siège ou de combat urbain. Le contexte chronologique dont
est issu le matériel (vers 175-200 apr. J.-C.) pousse tout naturellement
à le relier à la bataille de Lyon en 197. Si la bataille qui opposa les
partisans d’Albinus et les troupes de Septime-Sévère semble avoir eu
lieu en périphérie de
la ville, on sait que l’armée de Septime-Sévère
a poursuivi les vaincus jusque dans la cité et que Lyon fut livrée au
pillage. Le mobilier mis au jour sur la fouille pourrait donc
correspondre à une échauffourée, une escarmouche, entre les deux parties
après la bataille principale, ou au siège d’un bâtiment abritant des
soldats retranchés, vu le type de mobilier (armes de jet et
projectiles). Mais l’état du matériel, sans exclure cette hypothèse, ne
la confirme pas non plus. Ainsi, une seule pointe de flèche pourrait
avoir été tordue à la suite d’un impact ; de même, il n’est pas certain
que l’état des pointes de projectiles d’artillerie (pointe émoussée et
soie systématiquement brisée) soit lié à leur utilisation.
Une dernière conjecture expliquant la présence d’un tel mobilier militaire sur le site peut être formulée en associant les deux précédentes théories. Ces militaria pourraient être le reliquat d’un matériel stocké dans l’un des bâtiments mitoyens de l’espace I, partiellement pillé et/ou détruit lors du sac de la ville qui suivit la bataille de 197. Mais aucune trace d’événement violent, de type incendie, n’a pu être identifiée. Les armes (principalement de jet) peuvent également avoir été sorties du bâtiment afin d’être détruites sur l’espace ouvert I, par les troupes qui en avaient la garde, afin que celles-ci ne tombent pas aux mains de l’ennemi.
Mais doit-on absolument relier
ce mobilier à la bataille de Lyon et/ou au pillage qui s’en suivit ?
L’association du contexte chronologique et du matériel, si particulier,
favorise naturellement un tel rapprochement et il est difficile
d’expliquer autrement la présence d’un tel lot de militaria, en dehors d’un contexte de camp militaire.
L’abandon du site : état 5
la ville haute est abandonnée puisque quelques sites présentent des reconstructions et des vestiges de la fin du IIe et du IIIe siècle, comme sur le site du Verbe Incarné par exemple. De même, la qualité des mobiliers céramique ou métallique présents dans ces dépotoirs attestent la richesse de l’occupation encore présente sur la colline de Fourvière malgré les traces prégnantes d’abandon sur certains secteurs. Il faut donc rester prudent concernant le
basculement que l’on semble observer entre la ville haute (Fourvière) et la ville basse (Presqu’île). Si de florissantes domus se développent sur la Presqu’île entre la fin du IIe siècle et le début du IIIe siècle, la colline de Fourvière continue d’abriter une riche occupation associée à des édifices publics : ainsi, il ne faut pas oublier que le théâtre paraît faire l’objet d’une réfection sous Septime Sévère.