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Les naumachies

Restitution de la naumachie augustéenne
et du Trastevere au 1er siècle ap. J.-C.
(aquarelle de J.-C. Golvin © Actes Sud)

Le mot naumachia vient du grec ναυμαχια qui désigne le combat naval. En latin, il est employé à partir du règne de Tibère pour parler du spectacle naval, là où les textes antérieurs utilisent des expressions comme proelium navalis ou pugna navalis (voire spectaculum preolii navalis). La naumachie est donc avant tout un spectacle reproduisant la guerre sur mer.

Le terme de naumachie désigne à la fois un spectacle de combat naval et l’édifice qui accueille ce même spectacle.

À l’évocation du mot, vient à l’esprit une arène et des navires de guerre livrant un combat mortel.


I. Les naumachies, un spectacle non figé

A. Les spectacles aquatiques non-violents

D’autres spectacles nautiques, plus ancien, moins couteux, existèrent parallèlement :

  • La joute nautique : il s’agit d’une ancienne pratique à laquelle s’adonnaient les hommes jeunes à bord de barques, sur un lac, un fleuve ou la mer et face à un public. Ce sport, ce spectacle, pouvait éventuellement être une évocation historique. Il reste qu’elle était, comme elle l'est encore de nos jours, un plaisir inoffensif.
  • La régate : elle trouve son origine dans la Grèce du Ve av. J. C. Les navires de guerre se livraient à une course de vitesse. Évidemment, la course avait un objectif d’entrainement militaire. Elles intervenaient dans un cadre funéraire ou commémoratif. Elles furent attestées en Gaule romaine également.
  • Le simulacre de bataille : indubitablement, l’origine et le but ne pouvaient être que l’entrainement militaire. La pratique est peut-être née lors des guerres puniques. Cet entrainement pouvait avoir lieu en pleine mer, ce qui permettaient aux commandants d’escadre de se retrouver en conditions réelles, ou dans la rade d’un port, ce qui demeurait intéressant car même si l’espace était exigu le port permettait à des observateurs d’analyser la manœuvre.

Bas-relief de Préneste, représentant la bataille d’Actium (-31)
en Méditerranée ou le débarquement de Claude en Bretagne (43)
(musée du Vatican © D.R.)

B. L’ère des grandes naumachies

En un siècle il n’y eut que trois naumachies. Pour la première fois des navires de guerre de haute mer se retrouvèrent à l’intérieur des terres. Elles furent en effet une projection sur un bassin d’une pezomachie, donnant à un affrontement entre condamnés à mort une ampleur démesurée.

  • La première d’entre elles fut celle de César lors de son quadruple triomphe et l’inauguration du temple de Vénus Genitrix. Elle se tint à Rome en 46 av. J. C. Un espace fut donc aménagé sur le Champ de Mars pour accueillir les 2000 combattants et les 4000 rameurs embarqués sur plusieurs dizaines de navires de guerre. Cette bataille-spectacle symbolisait un affrontement entre égyptiens et thyréens, évoquant ainsi à la fois les victoires de César sur ce coin du monde et la domination de Rome sur les mers.
  • La seconde grande naumachie fut celle d’Auguste à l’occasion de l’inauguration du temple de Mars Ultor en 2 avant J.-C. Là également un bassin de 19,1 ha fut aménagé pour accueillir les 3000 hommes et les 30 navires dans une zone de Rome peu urbanisée, le Trastevere. Le bassin devait être alimenté par l’aqueduc Alsietina. L’affrontement symbolisait la bataille de Salamine entre grecs et perses. Le thème était en adéquation avec la politique extérieure d’Auguste.
  • La dernière des grandes naumachies est celle de Claude sur le lac Fucin en 52 après J.C, où la célèbre phrase attribuée à tort aux gladiateurs fut prononcée : Ave César, Morituri te salutante. Véritable apogée des grandes naumachies, cette dernière mit aux prises deux flottes de 50 bâtiments et plus de 10 000 naumaques. Le spectacle avait rejoint la réalité. Cette fois, l’évocation mettait aux prises siciliens et rhodiens.

Les grandes naumachies s'arrêtent avec les Julio-Claudiens.

La naumachie dans le Colisée,
G. Nispi-Landi, 1913 (© D.R.)

C. Les naumachies amphithéâtrales

À partir de Titus commencèrent des naumachies plus modestes et qui prirent place dans les amphithéâtres. En 80 il fit  donner 2 naumachies simultanément un an après l’éruption du Vésuve. L’une a pu se dérouler dans un édifice situé dans le Bois des César dans le Trastevere et l’autre au Colisée pour l’inauguration de l’édifice de spectacle. Ce dernier était sûrement alimenté par l’aqueduc Claudia. La bataille mettaient en scène les cités grecques de Corcyre et de Corinthe. Plus facilement réalisable, elles étaient plus fréquentes, sans pour autant dire qu’il y ait eu banalisation de ce genre de spectacle : 8 en 50 ans. Elles demeurèrent couteuses et l’apanage du princeps. En effet la présence d’une trirème dans l’arène impliquait le démontage du navire pour franchir les corridors de la structure et son remontage à l’intérieur. Mais seul un nombre très restreint de bâtiment pouvait être présent. Il ne s’agissait plus alors de combat d’escadre. Les navires dans l’étroitesse de l’arène ne pouvaient plus manœuvrer. Les troupes embarquées plus nombreuses avaient néanmoins le loisir de faire des abordages conséquents. Ainsi la composante maritime fût reléguée au rang d’élément de décor. Le combat d’infanterie de marine était à l’honneur. Il s’agissait finalement de faire un focus sur les abordages. De la réalité du combat naval nous perdions les habiles manœuvres, il ne restait que les violents combats de lance et de glaive des troupes embarquées, que le public pouvait enfin voir correctement.

L’empereur Domitien organisa 2 naumachies simultanément. La première eut lieu dans une naumachie dans la plaine vaticane. Ce bâtiment fut détruit lors de la reconstruction du Circus maximus incendié. La seconde se déroula dans le Colisée. Ces 2 naumachies symboliseraient la victoire de l’Empereur sur les Daces.


D. Les naumachies gladiatoriennes

La naumachie la mieux connue par l’archéologie est la naumachie vaticane, premier bâtiment maçonné, construite en 109 sous le règne de Trajan sur la rive droite du Tibre. Sa superficie est de 4,7 ha. Sa forme était allongée et ses extrémités courbées. Sa capacité d’accueil est estimée à 47 000 spectateurs. Il s’agit du seul site fouillé à ce jour en Europe. Le spectacle restituait la victoire de l’Empereur sur les Daces.

Peu après, au IIe siècle après J.-C., la naumachie évolue encore. Les embarcations deviennent petites, les manœuvres sont donc à nouveau possibles. Cette fois le spectacle aquatique s’affranchit totalement de la réalité du combat naval. Il ne s’agit plus de montrer à quoi pouvait ressembler une bataille navale mais de présenter des combats sur l’eau.

Parallèlement à cette évolution le statut des naumaques change, ils sont davantage gladiateurs que condamnés à mort, ils sont manœuvriers d’embarcations et combattants. Les prouesses martiales étaient mises à l’honneur au travers d’une version aquatique du munus. On passa alors du combat d’escadre à une vision plus macroscopique où l’habileté du combattant était appréciée. Cette évolution est d’ailleurs semblable à celle de la gladiature où là, également, la spécialisation est de plus en plus marquée et les techniques martiales de plus en plus appréciées. Spectacle plus accessible, il se diffusa dans l’empire.

La disparation des naumachies n’est pas connue. Elle est peut-être concomitante de la fin de la gladiature qui fut abolie, elle, en 438 après J.-C.

Aucune naumachie n’est attestée en Gaule ou en Afrique romaine à ce jour. Seuls les amphithéâtres de Mérida, au Portugal, et de Vérone, en Italie, semblent être inondables.

Infanterie de marine représentée sur
le monument funéraire de Cartilius Poplicola,
Ier siècle av. J.-C., Ostie ©DR

II. Organisation et composition des naumachies

A. Cérémonial

Spectacle couteux, les naumachies viennent conclure les jeux. À la manière du munus la naumachie bénéfice de la pompa, le défilé rituel. Puis, sur le lieu de l’affrontement, les naumaques saluent. Les escadres se préparent en se plaçant en deux lignes face à face. Comme pour les courses la sonnerie des trompettes informe public et participants que tout commence. Les bateaux s’élancent. Les lignes s’interpénètrent, les archers et les balistes lancent des traits pour affaiblir les équipages adverses. Les rostres éperonnent les flancs des navires. Puis viennent les abordages qui décident de la victoire.


B. Les naumaques

Les naumaques sont de catégories très différentes.

  • Les navires étant mus à la rame, la majorité des naumaques sont des rameurs. Ils sont plusieurs centaines sur chaque bâtiment, et lors des grandes naumachies où l’espace de manœuvre était large, leur rôle et leur expertise étaient indispensables. En outre il n’est pas impossible qu’ils aient pu participer à l’assaut l’arme à la main.
  • Sur le pont se tiennent plusieurs dizaines d’hommes lourdement armés, à eux d’assurer le spectacle. Ces combattants vont en effet être en charge d’abattre les adversaires à coup de flèches et de projectiles lourds, mais surtout lors d’abordages spectaculaires. 
  • Le navire quant à lui est guidé par un pilote et manœuvré par quelques dizaines de marins.
  • L’ensemble des navires ne peut être dirigé que par un commandant d’escadre.
  • La coordination étant assurée par des musiciens, un dernier type de naumaques. À l’aide de cornus et lituus, des cuivres présents dans les légions, les sonneries transmettent les ordres de combat.

Il est impossible, étant donné sa complexité et son coût, que ce type de spectacle soit géré par des néophytes. Une maîtrise du combat naval est nécessaire. Pour les cadres, commandant et pilotes une solide maîtrise est indispensable. Rameurs et soldats ne pouvaient pas non plus être totalement débutants. En outre l’éditeur des jeux souhaitait offrir un spectacle de qualité, ce qui veut dire avec le plus grand des réalismes. En conséquence l’entrainement des naumaques était nécessaire si l’on voulait que le combat soit réaliste, il en allait de la crédibilité du spectacle. Il se pose alors la question de leur origine et de leur recrutement.

Chiourme des flottes ennemies vaincues ? Prisonniers de guerre ayant des compétences navales ? Ceci est fort probable pour les grandes naumachies Julio-claudiennes. Gladiateurs de l’arène ou gladiateurs marins à partir du IIe siècle ?

Reconstitutions d’une quinquérème (en haut)
et d'une liburne (en bas)
©G. Rava

C. Les navires

Les navires employés, du moins lors des grandes naumachies, étaient les mêmes que les bâtiments de guerre basés à Misène ou à Ravenne. La marine romaine employa des birèmes, des trirèmes, des quadrirèmes, des quinquérèmes ainsi que des liburnes. En théorie une quinquérème embarque plus de deux fois plus de rameurs que de combattants. Mais le spectacle naumachique, qui n’est pas contraint par la logistique opérationnelle en pleine mer, et qui de plus, met l’accent sur le combat d’infanterie, voit un ratio combattants/rameurs totalement différent. Pour les naumachies où le nombre nous est connu, l’infanterie embarquée est doublée.

Les navires se répartissent lors du spectacle en deux camps. Dès lors ils doivent avoir un signe de reconnaissance frappant, identifiable facilement pour le public même avec l’enchevêtrement des deux lignes adverses. Il ne nous est pas connu. Le plus évident est la couleur, sur les voiles, la coque, les combattants. Mais il n’est pas impossible que la couleur soit complétée par des signes ethniques en rapport avec l’affrontement simulé. Par exemple un équipement typiquement hellénique (lance et bouclier rond) ou oriental pour les combattants postés sur le pont, ou des éléments constitutifs du navire lui donnant très clairement une origine.


Bibliographie

  • Berlan-Bajard Anne, Les Spectacles aquatiques romains, CEFR, 360, Rome, 2006.
  • Cariou Gérald, La Naumachie, Morituri te salutant, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, 2009.
  • Coleman Kathleen M., Launching into History : Aquatic Displays in the Early Empire, Journal of Roman Studies, 83 (1993), p.48-74. 
  • Golvin Jean-Claude, L’Amphithéâtre romain. Essai sur la théorisation de sa forme et de ses fonctions, thèse de lettres, Bordeaux, 1988.
  • Golvin Jean-Claude, Origine, fonction et forme de l’amphithéâtre romain, in Claude Domergue, Christian Landes, Jean-Marie Pailler, Spectacula I: Gladiateur et amphithéâtres : actes du colloque tenu à Toulouse et à Lattes les 26, 27, 28 et 29 mai 1987, Imago, Lattes, 1990.
  • Golvin Jean-Claude & Reddé Michel, Naumachies, jeux nautiques et amphithéâtre, in Claude Domergue, Christian Landes, Jean-Marie Pailler, Spectacula I, Lattes, 1990.

Glossaire

  • Baliste : Engin de guerre servant à projeter des traits ou des projectiles grâce à la puissance de la torsion.
  • Cataphracté : Protégé. Couvert.
  • Chiourme : Les rameurs d’une galère.
  • Guerres médiques : Guerres qui opposèrent les cités grecques à l’empire perse au Ve siècle av. J.C.
  • Guerres puniques : Guerres que se livrèrent Rome et Carthage au IIIe et IIe siècle av. J.C .
  • Munus : Le spectacle de gladiature.
  • Naumaques : Acteurs de la naumachie (rameurs, capitaine…)
  • Pézomachie : Combat de fantassin. Il s’agit des reconstitutions de batailles que les condamnés à mort reproduisaient dans les amphithéâtres.
  • Pompa : Procession rituelle à travers la ville et dans l’amphithéâtre à l’ouverture des jeux.
  • Princeps : Titre porté par l’empereur romain.
  • Principat : Gouvernement du princeps.
  • Rostre : Eperon d’abordage d’une galère.
  • Trimuvirat : Gouvernement par trois magistrats romains. À Rome il y eut deux triumvirats : celui de César, Pompé et Crassus et plus tard celui d’Octave, Marc-Antoine et Lépide.
 

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L'exposition "Naumachies" du SAVL

L’amphithéâtre naumachique de Lyon, une méprise archéologique du XIXè siècle

Les naumachies, présentation du spectacle aquatique antique