Fouille de la cour de la Pharmacie (tranche 6)
Période(s) d'occupation : Antiquité, Médiévale, Moderne, période contemporaine
Opération : Fouille archéologique
Dates de l'opération : 2015 - 2016
Aménageur : Eiffage immobilier
Dans le cadre du projet de reconversion de l’Hôtel-Dieu, la cour de la Pharmacie (1067 m²) a fait l’objet d’une fouille d’archéologie préventive menée de décembre 2015 à juin 2016, à la suite d’un diagnostic réalisé en juillet-août 2015. Cette cour, située au nord-ouest de l’emprise de l’Hôtel-Dieu, est issue de la construction des bâtiments des Quatre-Rangs dans le premier tiers du XVIIe s. sur l’emprise de l’ancien quartier de la Blancherie. Elle fut utilisée par l’établissement hospitalier, selon les archives, pour y transférer à cette période son nouveau cimetière depuis la cour du Cloître (tranche 9f, diagnostiquée en 2016-2017), quelques années après qu’un premier cimetière protestant (1600-1629) a été implanté dans un jardin en partie localisé sur l’emprise de fouille. Le cimetière hospitalier occuperait progressivement l’ensemble de la cour avant d’être à nouveau transféré, en 1673, au sud de l’Hôtel-Dieu, dans l’actuelle cour Saint-Martin, fouillée en 2016 (tranche 9a). À partir de 1682, après avoir transité dans la cour Sainte-Marie à l’est de l’emprise (secteur fouillé en 2015, tranche 4) entre 1629 et 1682, le cimetière protestant réintègre le nord de la cour voisine de la Pharmacie. Celui-ci demeure en service après la révocation de l’édit de Nantes (1685) jusqu’à la fin du XVIIIe s. Au sein de celui-ci, un secteur fut ponctuellement réservé pour la communauté juive dans le troisième quart du XVIIIe s. Au sud du cimetière protestant, une vaste cave centrale voûtée coupant la cour en deux parties distinctes est percée en 1688, surmontée par une halle au début du XVIIIe s. Des jardins sont localisés au sud de celle-ci et à l’ouest du cimetière protestant sur le plan de la rente noble d’Ainay au milieu du XVIIIe s. En 1863, de nouveaux bâtiments hospitaliers (laverie et buanderie) investissent la cour, ne laissant plus au sud qu’une petite emprise connue au XXe s. sous le nom de cour du Magasin.
Contrainte par un calendrier serré sans possibilités de prolongations, la cour, révélant une densité importante de structures funéraires, n’a pu être intégralement fouillée sur toute la stratigraphie. Les niveaux naturels, percés par les décaissements modernes, n’ont pu être appréhendés que sur les bordures de l’emprise. Ils se présentent, sans surprise, sous la forme d’un niveau d’alluvions fines surmontant les dépôts plus grossiers de galets et sables, selon un pendage apparent d’est (où le plancher alluvial grossier apparaît à 164,33 m NGF) en ouest (un niveau de sable y étant observé à 163,65 m NGF, la grave n’étant perçue qu’à partir de 163,20 m NGF).
Les vestiges d’une ou plusieurs occupations antiques, très altérés par les creusements modernes, n’ont pu être perçus qu’au nord et à l’est de l’emprise, coiffant les niveaux alluvionnaires préservés. Elles n’y ont été identifiées que par quelques restes de murs et de niveaux de sols successifs entre 164,40 et 165 m NGF. Dans la partie occidentale de la cour, seules quelques fondations antiques, sans niveaux associés, ont été découvertes entre 163,57 et 163,86 m NGF sous le sol de la grande cave centrale, préservées entre les fosses des sépultures hospitalières. Une inhumation alto-médiévale, identifiée au nord dans les niveaux d’abandon antiques, est à mettre en relation avec la découverte de plusieurs sépultures des VIIe-IXe s. mises au jour dans la fouille menée en parallèle dans la cour Sainte-Marie (tranche 4).
Plusieurs fondations (une dizaine de murs, un puits, un puisard et une probable fosse d’aisance), disséminées sur l’ensemble de la cour, peuvent être associées aux habitats de l’ancien quartier de la Blancherie. Cette occupation n’est perçue qu’à partir du XVIe s., aucune structure ne pouvant être datable de la fin du Moyen Âge. Des vestiges plus tardifs (quelques murs ; la cave centrale, son escalier d’accès et deux caves annexes ; un puits ; un puisard ; plusieurs niveaux de sol) révèlent l’occupation progressive de la parcelle par l’établissement hospitalier à partir de 1623 et tout au long du XVIIIe s.
L’occupation la plus importante concerne
l’implantation des différents cimetières, apparue dès 166,41 m NGF, pour
les inhumations les plus récentes, à moins d’1 m de la surface (167 m
NGF). Elle est encore perceptible au niveau de la nappe phréatique, sous
la cave centrale, à 162,30 m NGF. Si les structures funéraires,
potentiellement présentes sur plus de 4 m de stratigraphie cumulée,
n’ont pu être intégralement fouillées, elles constituent cependant
l’essentiel des faits identifiés. Sur plus de 1065 structures
archéologiques identifiées, la fouille a permis d’exhumer 827 structures
funéraires. Au sein de celles-ci, 577 inhumations primaires
individuelles et 178 plurielles ont été mises en évidence. Quelque 46
dépôts secondaires ont également été recensés. L’équipe a dû renoncer,
faute de temps, à l’étude de nombreux os erratiques localisés dans les
remblais ou encaissants de sépultures. En concertation avec le SRA et
l’aménageur, ceux-ci n’ont pas été conservés et ont, comme les
sépultures qui n’ont pu être fouillées, été transférés au cimetière
contemporain de la Guillotière dans un carré spécifique.
Les plus anciennes sépultures mises au jour sont implantées au sud de la parcelle, vraisemblablement dès la seconde moitié du XVIe s., dans une probable extension ou dépendance annexe du cimetière hospitalier, alors localisé dans la cour du Cloître. Cette première occupation funéraire se manifeste essentiellement, comme dans la cour voisine, par des inhumations individuelles, mais probablement aussi par quelques sépultures collectives. Aucune trace de contenant n’a pu être identifiée dans ces structures. Une trentaine de sépultures individuelles, dont certaines en cercueil bien datées du début du XVIIe s., pourraient être associées au premier cimetière protestant fonctionnant entre 1600 et 1629. Elles pourraient cependant aussi correspondre à une extension du cimetière hospitalier.
Les sépultures identifiées dans le centre de la parcelle, où serait localisé le premier transfert du cimetière hospitalier en 1626, n’ont été perçues qu’au sein de fosses profondément creusées jusqu’au substrat, probablement restées ouvertes après chaque enfouissement. Elles s’étendent rapidement vers les autres secteurs de la parcelle, laquelle semble à priori intégralement occupée avant 1652, à l’exception de l’extrémité nord-ouest. Des inhumations multiples antérieures à 1644 ont pu être mises en évidence dans plusieurs secteurs. Les inhumations y sont déposées tête-bêche par séries successives pouvant alterner perpendiculairement les orientations. Certaines comportaient des dépôts de chaux. Elles pourraient témoigner d’épisodes de crises de mortalité, peut-être consécutives à des épisodes épidémiques comme la peste, qui a affecté Lyon en 1628-1629 et en 1638. Après 1645, une organisation plus régulière se met en place. Les individus, toujours disposés tête-bêche, sont déposés par petits groupes selon une même orientation nord-sud et un même alignement est-ouest. Un système de vastes fosses longilignes successives, en forme de tranchées rectangulaires, pourrait alors avoir été mis en place. C’est ce système qui semble perdurer jusqu’à la fin de l’utilisation de ce cimetière, effective avant la fin du XVIIe s. Quelques sépultures individuelles isolées sont encore creusées durant toute la période. Si les soupçons de cercueils demeurent limités, de nombreux individus inhumés entre 1626 et 1673 ont révélé des indices taphonomiques voire des vestiges conservés (épingles, tissus) d’enveloppes souples (linceuls et/ou vêtements).
Au total, 426 sépultures individuelles ou plurielles
comportant un minimum de 923 individus ont été associées à ce cimetière
hospitalier. Le nombre total d’individus réellement présents dans le
cimetière hospitalier si la fouille avait pu être menée à terme, bien
que difficile à estimer compte tenu des variations de densités observées
selon les secteurs, devrait dépasser les deux-mille, auxquels
s’ajoutent plusieurs centaines d’autres très probablement conservés sous
le fond de fouille du projet d’aménagement.
La fouille a
également permis de mettre en évidence deux-cent-soixante-et-une
sépultures (dont neuf identifiées lors du diagnostic) attribuables au
dernier cimetière protestant présent dans l’Hôtel-Dieu. Transféré depuis
la cour voisine en 1682, celui-ci est apparemment fermé après la
révocation de l’édit de Nantes en 1685, mais il est exceptionnellement
rouvert pour les communautés protestantes étrangères dès 1692, peut-être
sur une emprise plus limitée. Essentiellement individuelles (quelques
multiples constatées), ces sépultures sont toutes localisées au nord-est
de la parcelle, sur 260 m², à l’emplacement matérialisé par l’atlas de
la rente noble d’Ainay au milieu du XVIIIe s. (Arch. dép. du Rhône et de
la Métropole, 11 G 450 atlas 4). Les seuls vestiges d’une clôture mis
au jour correspondent à la séparation d’un secteur sud-est de 33 m²,
situé à l’entrée d’une cave longeant le cimetière sous la halle, lequel
est attribué à la communauté juive au milieu du XVIIIe s. Les niveaux supérieurs du cimetière et la partie centrale ont
été détruits au XIXe s. par les réseaux et les fondations de la
laverie. Ces dernières ont également recoupé de nombreuses sépultures
protestantes. Ce cimetière semble avoir été utilisé en deux phases
successives, la seconde pouvant avoir été précédée par une phase de
décaissement puis de remblaiement. Elles comprennent respectivement
soixante-neuf et cent-quatre-vingt-seize sujets, en position primaire.
Le nombre de tombes préservées par les recoupements demeure stable (43%)
dans les deux phases, mais les plus anciennes l’ont parfois été à de
multiples reprises. La forte disparité numérique constatée entre le
millier d’individus signalés par les registres et les individus
identifiés sur le terrain pourrait résulter du manque de place,
peut-être à l’origine d’une réduction massive de sépultures d’une partie
du cimetière.
Deux orientations principales, présentes dans
chaque phase, ont été constatées. La plus importante, traditionnelle en
contexte chrétien, est globalement est-ouest mais une seconde, nord-sud,
proportionnellement plus fréquente en phase 1, a également été
identifiée. Ce changement possible de pratiques pourrait correspondre à
la poursuite des usages en cours dans le cimetière protestant de la cour
Sainte-Marie mais également à la continuité du cimetière hospitalier,
au sein duquel l’orientation nord-sud est quasi systématique au même
emplacement. Des alignements perceptibles sont susceptibles de révéler
une organisation en rangées, probablement séparées par des axes de
circulation. Lors du premier état ces rangées se déploient apparemment
d’est en ouest, alors que dans la deuxième phase, elles dessinent des
alignements nord-sud. La majorité des individus a été inhumée dans les
deux phases au sein de cercueils en bois (cent-quarante-cinq cas avérés
par la présence de restes de bois, de traces ligneuses et/ou de clous), à
couvercle plat ou en bâtière. Les indices taphonomiques révèlent la
présence de linceuls (31 cas avérés), de vêtements (18 cas) ou
d’enveloppes souples indéterminées (77). Quelques individus étaient
accompagnés d’objets de parure (peignes en écailles de tortue, boucles
d’oreille, bagues), surtout dans la deuxième moitié du XVIIIe s. Un
cercueil en plomb, trapézoïdal à couvercle plat, a également été mis au
jour. Il était intégré dans un coffre en bois cloué sur lequel ont été
apposées une épitaphe au nom d’Elizabeth Temple, aristocrate anglaise
décédée en 1736, et ses initiales « ET » en clous de tapissier. Il n’a
pu être ouvert faute d’autorisations de la part du SRA. L’étude
biologique restitue une population constituée de 84% d’adultes.
L’ensemble de la population comporte 37,7% d’hommes pour presque 14% de
femmes, le sexe des autres individus étant indéterminé ou
indéterminable. Des soins dentaires ont été observés sur plusieurs
individus. Les paramètres paléodémographiques et l’étude de l’état
sanitaire semblent d’ailleurs caractériser une population favorisée, ce
qui pourrait s’expliquer par la forte composante de négociants et
professions libérales, telle qu’elle apparaît dans les données
d’archives. Plusieurs individus, découverts dans des
positions aberrantes, pourraient, comme le fort taux de recoupements
internes, illustrer les conditions d’inhumations nocturnes, dans un
espace trop restreint. Quinze individus ont ainsi été inhumés sur le
ventre en pleine terre ou dans des cercueils retournés. D’autres étaient
plaqués contre les parois des contenants. Enfin, une majorité se
présente selon des orientations non conventionnelles. Une partie d’entre
eux pourrait témoigner du contexte politique répressif qui marque la
période postérieure à 1785.
Une possible extension occidentale du dernier tiers du XVIIIe s. a été mise au jour à l’emplacement d’un jardin mentionné sur l’atlas, dans une zone peu explorée faute de temps. Celle-ci a révélé deux sépultures multiples hospitalières du XVIIIe s. et une vingtaine d’individuelles dont les modes d’inhumations sont parfois proches des protestants (alignements des sépultures, plusieurs cercueils avérés). Deux individus (auxquels s’ajoutent les quatre identifiés au diagnostic), mis au jour à l’emplacement de l’entrée de la cave, près d’un escalier d’accès découvert lors de l’intervention, dans un enclos au sein de l’espace funéraire huguenot, ont été attribués au cimetière juif utilisé entre 1759 et 1775. Les dernières inhumations dans le cimetière protestant semblent s’interrompre au plus tard dans la première décennie du XIXe s.
Après une période de désaffection, au XIXe s., l’emplacement du cimetière protestant semble comme au sud de la parcelle occupé par des jardins, avant d’être réinvesti par des bâtiments, dont le plus important est un ensemble laverie-buanderie construit au XIXe s., dont le plan était intégralement conservé.